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LES INSECTICIDES BIOLOGIQUES : DES BACTÉRIES POUR LUTTER CONTRE LES MOUSTIQUES

Face à la progression fulgurante des moustiques au niveau mondial, et notamment du moustique tigre en France, l’usage d’insecticides s’est largement généralisé. Un insecticide, contrairement à un répulsif qui éloigne, est un produit toxique destiné à tuer les moustiques. Les insecticides actuellement sur le marché sont tous composés de molécules chimiques. Bien qu’efficaces à leur début, de nombreuses limites apparaissent aujourd’hui, due en partie aux résistances physiologiques et aux changements de comportement des moustiques, ainsi qu’aux dommages environnementaux qu’ils engendrent. 

Aujourd’hui deux insecticides font figure d’exception et sont des insecticides biologiques reposant sur l’utilisation de bactéries ou composés d’origine bactérienne :

les toxines de Bacillus thuringenesis subsp. israelensis (Bti) qui sont hautement toxiques pour les larves de moustiques et entrainent leur mort en quelques jours.

- les bactéries infectieuses du genre Wolbachia qui peuvent provoquer la stérilité des moustiques et donc éradiquer progressivement une population de moustiques.

L’avantage principal des insecticides biologiques comparés aux insecticides chimiques est leur spécificité d’action. Ils sont actifs uniquement contre leurs cibles, les moustiques, et ne présenteraient ainsi aucune toxicité pour l’homme et l’environnement.1

Le Larvicide Bti : toxique pour les larves de moustiques mais pas si inoffensif pour l'environnement

Bacillus thuringenesis subsp. israelensis a été découverte dans les années 1970. Il s’agit d’une bactérie naturellement présente dans le sol, et capable de produire des spores, qui contiennent quatre toxines hautement toxiques pour certaines espèces d’insectes, comme les larves de moustiques.2

Après ingestion des spores, les quatre toxines sont modifiées dans l’intestin des larves. Elles s’assemblent alors pour perforer les cellules intestinales, entrainant la paralysie puis la mort des larves de moustiques. Contrairement à d’autres toxines bactériennes du même genre Bacillus, également commercialisées comme larvicides (Btk et Bs), le mécanisme d’action des toxines de Bti est unique* et permettrait d’éviter tout phénomène de résistance ou d’adaptation des larves. Les toxines de Bti ont déjà prouvé leur efficacité lors d’épandages dans des zones aquatiques et sont actuellement utilisées, comme alternative aux insecticides chimiques, pour contrôler les populations de moustiques dans plusieurs pays (Allemagne, Suède, Suisse, Chine et Etats-Unis).3

Cependant, les coûts de production des larvicides Bti restent élevés et limitent leur application dans les pays en voie de développement. De plus, l’emploi de Bti entraine l’éradication non contrôlée de toutes les espèces de moustiques en tuant leurs larves, ainsi que d’autres diptères. Or les moustiques sont une source de nourriture considérable aux stades larvaire et adulte pour de nombreuses espèces d’oiseaux et de poissons notamment.4,5 Ainsi bien que les toxines de Bti ciblent spécifiquement les moustiques, elles ont un impact négatif indirect sur d’autres espèces non ciblées.  Des chercheurs français ont ainsi montré que l’utilisation du larvicide Bti a bouleversé tout un écosystème en Camargue. La diminution drastique de sa population de moustiques a entrainé une diminution de 33% de la population des hirondelles, d’araignées et de libellules et une augmentation des fourmis volantes de Camargue.6,7

L'Approche Infectieuse avec Wolbachia : un mauvais insecticide mais qui permettrait de diminuer la transmission de maladies vectorielles.

Wolbachia est un genre de bactéries, qui peut être naturellement trouvée dans les cellules de l’intestin de nombreux arthropodes, dont les moustiques. Lorsqu’infectée, la femelle moustique transmet la bactérie Wolbachia à sa progéniture. En présence de cette bactérie, les moustiques peuvent avoir une progéniture viable dans seulement 56% des croisements**. Lorsqu’un croisement spécifique est imposé, ce chiffre peut tomber à 0% : un mâle infecté par Wolbachia ne donne aucune descendance avec une femelle non infectée.8

Wolbachia est un genre de bactéries, qui peut être naturellement trouvée dans les cellules de l’intestin de nombreux arthropodes, dont les moustiques. Lorsqu’infectée, la femelle moustique transmet la bactérie Wolbachia à sa progéniture. En présence de cette bactérie, les moustiques peuvent avoir une progéniture viable dans seulement 56% des croisements**. Lorsqu’un croisement spécifique est imposé, ce chiffre peut tomber à 0% : un mâle infecté par Wolbachia ne donne aucune descendance avec une femelle non infectée.8

Inspiré par ce phénomène naturel, des chercheurs ont développé une stratégie, appelée Wolbachia IIt, en produisant des moustiques mâles infectés en laboratoire puis en les relâchant dans la nature afin qu’ils ne produisent aucune descendance avec des moustiques femelles sauvages. Cette stratégie a largement été utilisée aux Etats-Unis, en Chine et à Singapour, où elle a d’ailleurs échoué. En effet, des moustiques femelles infectés par Wolbachia ont été accidentellement relâchés, à cause de difficultés sur le tri du sexe des moustiques produits en laboratoire ; ce qui a conduit à la dispersion de la bactérie dans la population de moustiques en annulant l’effet de stérilité et sans diminuer le nombre de moustiques.8

Cependant, il semblerait que l’approche infectieuse par Wolbachia reste intéressante, non pas en tant qu’insecticide biologique pour éradiquer les moustiques, comme cela a été envisagé pendant de nombreuses années, mais pour diminuer le risque de transmission de maladies vectorielles à l’homme. En effet, les moustiques infectés par Wolbachia transmettent moins d’arbovirus, comme ceux de la Dengue, Zika, et Chikungunya ainsi que de Plasmodiums conduisant au Paludisme, bien que les chercheurs n’en connaissent pas encore les raisons précises.8 Les premiers essais de dispersion de Wolbachia parmi des espèces de moustiques vectorielles de maladies semblent concluants, puisque l’incidence des cas de Dengue ont fortement diminué 5 ans après les premiers relargages d’Aedes aegypti infectés par Wolbachia dans des régions test d’Australie.9

Cette technologie semble donc prometteuse pour diminuer les risques d’infections dues aux moustiques sans avoir à les éradiquer. Cependant, certaines espèces de moustiques sont plus difficiles à produire que d’autres, et cette technologie n’a pas pu être appliquée à Anopheles gambiae, espèce vectrice du Paludisme. De plus, il existe encore peu de recul sur la stabilité de cette technologie : la bactérie Wolbachia reste-t-elle stable dans les moustiques ? Ne provoque-t-elle pas une évolution différente du moustique infecté ? Qu’en est-il du virus ou parasite porté par le moustique ? Cela peut-il conduire à la création de pathogènes plus virulents ?

Claire Grison - Ingénieur en Biochimie, Docteur en Chimie Organique et Rédactrice Scientifique

Notes : 

* Les toxines Bti sont capables d'interagir directement avec les lipides membranaires des cellules et non via des récepteurs protéiques transmembranaires

** Les croisements possibles peuvent être nombreux : femelle non-infectée/mâle infecté, femelle infectée/mâle non-infecté, femelle infectée souche A/mâle infecté souche B, femelle infectée souche B/mâle infecté souche A

Références : 

[1] L. Lagadic and T. Caquet, in Encyclopedia of Toxicology (Third Edition), ed. P. Wexler, Academic Press, Oxford, 2014, pp. 355–359.

[2] Parcours initiatique d’une toxine anti-moustique. | INSB, https://www.insb.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/parcours-initiatique-dune-toxine-anti-moustique.

[3] N. Becker and P. Lüthy, in Microbial Control of Insect and Mite Pests, ed. L. A. Lacey, Academic Press, 2017, pp. 379–392.

[4] D. A. H. Peach, The bizarre and ecologically important hidden lives of mosquitoes, http://theconversation.com/the-bizarre-and-ecologically-important-hidden-lives-of-mosquitoes-127599.

[5] J. Fang, Nature, 2010, 466, 432–434.

[6] B. Poulin, Acta Oecologica, 2012, 44, 28–32.

[7] B. Poulin, G. Lefebvre and L. Paz, Journal of Applied Ecology, 2010, 47, 884–889.

[8] G.-H. Wang, S. Gamez, R. R. Raban, J. M. Marshall, L. Alphey, M. Li, J. L. Rasgon and O. S. Akbari, Nat Commun, 2021, 12, 4388.

[9] P. A. Ryan, A. P. Turley, G. Wilson, T. P. Hurst, K. Retzki, J. Brown-Kenyon, L. Hodgson, N. Kenny, H. Cook, B. L. Montgomery, C. J. Paton, S. A. Ritchie, A. A. Hoffmann, N. P. Jewell, S. K. Tanamas, K. L. Anders, C. P. Simmons and S. L. O’Neill, Gates Open Res, 2019, 3, 1547.